Faisant suite à l’arrivée au pouvoir, par les urnes, d’un gouvernement républicain (Fronte Popular), le général Francisco Franco (1892/1975) lance un coup d’état (golpe) depuis le Maroc et débarque au sud de l’Espagne (Andalousie). L’armée espagnole se scinde en deux : putschistes (majorité de militaires de carrière) et républicains (majorité de civils). Deux factions ennemies pour un peuple. En mars 1939, les putschistes ont gagné la guerre civile grâce à l’intervention massive de l’Italie fasciste de Benito Mussolini (1883/1945) et l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler (1889/1945) ; les républicains l’ont perdue par leurs divisions idéologiques et leur maigre soutien international (Union Soviétique de Joseph Staline et Brigades Internationales). La France et l’Angleterre se sont résignées à une politique de non intervention. Francisco Franco devenue caudillo instaure un régime dictatorial lequel perdurera jusqu'à sa mort en novembre 1975. Les républicains, vaincus, s’exilent principalement en France à compter de décembre 1938 : c’est la Retirada (450.000). Dès 1942, certains se battent au côté de la résistance française. Les détenus sont déportés en majorité au camp de concentration de Mauthausen (9.000), le plus petit nombre au camp de concentration de Flossenbürg.
Dans le cadre de la collaboration avec l’Allemagne nazie qui a largement contribué à la victoire des putschistes, en août 1941, le généralissime Francisco Franco valide le départ de travailleurs volontaires en Allemagne (munis d’un contrat de la Deutsche Werke) pour une usine d’armement de Kiel (Nord de l’Allemagne).
A partir des années 90, après la transition démocratique (1975/1978), soit une quinzaine d’années après la fin de la dictature, des associations citoyennes réclament que l’engagement des Républicains contre Francisco Franco soit officiellement reconnu. Le gouvernement du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero (2004 à 2011) promulgue le 31 octobre 2007 la Loi de Mémoire Historique. C’est dans ce mouvement sociétal de réconciliation qu’émerge le syndicaliste catalan Enric Marco (1921/2022) …
Enric Marco (Eduard Fernandez) et sa femme Laura (Nathalie Poza) visitent, sous la neige, le camp de concentration de Flossenbürg où il prétend avoir été interné après avoir été arrêté par la Gestapo à Marseille, ville où il s’était réfugié. Il tente de soudoyer un responsable en lui offrant une charcuterie catalane (butifarra) en échange d’un document certifiant sa présence dans le camp de concentration. Malgré ses requêtes, le bureaucrate refuse : il n’est pas sur la liste des déportés. Enric Marco argumente : c’est exact, il a donné un faux nom aux geôliers. Le préposé demeure inflexible.
Marco, énigme d’une vie est un long métrage hybride d’Aitor Arregi Galdos (48 ans) et de Jon Garano (51 ans), autrement dit une œuvre non fictionnelle et très bien documentée sur le parcours inouïe, prémonitoire, d’Éric Marco, à l’ère de la « post-vérité » ou « vérité alternative ». Dès 1978, dans son récit autobiographique (il a étudié scrupuleusement les ouvrages sur les déportés espagnol), Enric Marco (né en 1921), se présente comme un anarchiste catalan, combattant volontaire dans la Colonne Durruti de l’Armée populaire (octobre/novembre 1936). Entre 2000 et 2005, il intervient dans des centaines de conférences, notamment en milieu scolaire et universitaire, ou il rode ses discours émouvants. Plus tard, il s’enivre de ses succès d’audience dans les médias (télévisions, radios, presse, etc.). C’est un « bon client », conteur affable, inlassable, au physique quelconque (chauve, moustache en brosse), mais avenant. C’est un bon orateur, un excellent medium. « Le medium c’est le message » affirmait le philosophe canadien Marschall McLuhan (1911/1980). La nature d’un média compte plus que le sens ou le contenu du message. Avec sa faconde, sa disponibilité, son empathie, Enric Marco est un communicant hors pair.
Les réalisateurs Aitor Arregi Galdos et Jon Garano ont rencontré Enric Marco en 2006. IIs ont maintenu une relation jusqu'en 2013, tentant de monter un projet d’abord documentaire (inabouti), puis las de ses dérobades, ils ont scénarisé un récit fictionnel hybride avec de courts inserts d’images réelles des camps de concentration, d’actualités cinématographiques, de séquences de télévision, et même une intervention de l’écrivain catalan Javier Cercas (né en 1962), auteur d’un roman non fictionnel sur l’étrange personnalité d’Enric Marco (L’imposteur traduit en français chez Actes Sud en 2015). L’un des thèmes importants de ce film est celui de la vérité. A ce sujet, les réalisateurs déclarent : « Nous vivons une époque ou la frontière entre la vérité et le mensonge semble s’estomper. Les réseaux sociaux, les médias et le rythme vertigineux de consommation de l’information ont crée un environnement dans lequel ce qui compte n’est pas toujours la vérité, mais la manière dont elle est présentée ».
Marco, l’énigme d’une vie est un « thriller sociétal » sur un homme complexe, un menteur pathologique, dont les mensonges étaient soigneusement tissés à partir de fragments de vérité : un hâbleur, charlatan, au charisme indéniable ! Le long métrage, au rythme soutenu, est porté par l’acteur catalan renommé Eduard Fernandez (Enric Marco) qui n’interprète pas le personnage, mais l’incarne dans ses moindres nuances. C’est saisissant de vérité ! Son époustouflante prestation a été récompensée en 2025 par le Goya du prix du meilleur acteur (équivalent espagnol des Césars).
N'oublions pas qu’Enric Marco était un « petit joueur » narcissique, somme toute inoffensif, sans conséquences durables. D’autres et non des moindres, suivant les mécanismes de la « post-vérité », de la « vérité alternative », sont infiniment plus dangereux. Marco, l’énigme d’une vie nous incite à la réflexion !